LES VOYOUS DE QUARTIERS 2
Dans ce bout de carrière de temps en temps pour son besoin personnel et pour pouvoir se faire un peu d’argent afin d’arrondir ses fins de mois difficiles, s’arrangeant avec le propriétaire des
lieux qui habitait à proximité, le père de Jean François extrayait quelques charretées de ce sable couleur jaune aux reflets roux qu’il vendait en allant les livrer directement chez les
clients.
En sa présence nous ne nous
aventurions pas au niveau de la fosse et nos jeux devenaient alors différents. Des yeux paternels veillaient et nous ne voulions surtout ne pas être surpris en infraction puis être punis
sévèrement. Les parents n’aimaient pas trop nous voir jouer dans ce trou insalubre et de nous empêcher d’y aller aurait été terrible comme punition. Le danger de nous blesser était trop grand,
mais nous attendions d’être seuls afin de pouvoir l’affronter.
Pourtant cet homme représentait pour
nous la gentillesse même en nous offrant toujours le mot doux et la parole réconfortante. Une vraie crème d’homme qui dissimulait sa misère et sa peine toujours derrière un sourire généreux,
derrière un geste amical, nous donnant une petite tape dans le dos.
Travaillant sans relâche pendant des heures entières sous ce soleil de plomb de ce mois d’été l’homme pour se sentir à son aise se mettait alors torse nu. La chemise découpée dans un tissu de
coton épais imprégné de dessins à motifs à carreaux était alors vite enlevée et posée sur une branche d’arbrisseau de bouleau, découvrant un buste tout reluisant de transpiration, dévoilant aux
seuls souffles d’air chaud une poitrine bien développée comme celle d’un athlète, surmontant le ventre légèrement garni de ces minuscules plaquettes de chocolat en guise d’abdominaux, montrant
que l’homme de petite taille mais de dimension normale pour un habitant de l’époque n’était pas du tout à son premier travail pénible et que l’ouvrage de sa vie consistait à gagner durement son
pain à la sueur de son front.
Munis d’outils rudimentaires il fallait extraire le matériau à la force du poignet. Le courage et la ténacité ne lui manquaient pas bien au contraire.
Prise à pleines mains la lourde pioche
montait au dessus de la tête. Han! Elle s’abattait violemment écorchant à peine le sol durement tassé, piétiné par les allées et venues des hommes, des engins, traçant juste des éraflures à la
surface.
Quelques éclats enlevés s’éparpillaient
de chaque coté de l’impact, cinglant nos jambes nues si nous avions le malheur de nous en approcher. Nous jouions en culottes courtes surtout par ces
temps de sécheresse et c’était la mode d’en porter à cette époque, les grands avaient le droit au pantalon. Eh oui, il nous fallait grandir!
Saillants les muscles des bras se
gonflaient jusqu’à vouloir éclater. Han! Sous l’effort les muscles de ce visage bruni et vieilli par les intempéries se plissaient peignant la rudesse de ce labeur, la mâchoire se crispait sous
la pénibilité de l’action, les dents se serraient donnant une mimique de douleur, les veines apparentes du cou se gonflaient de sangs prêtes à éclater, la peau du front se fronçait nous
démontrant que l’homme n’était pas de toute première jeunesse. Le regard figé fixant le point d’impact l’instrument frappait, sous le choc par réflexes les paupières se fermaient. Le dos
arcquebouté tendu au maximum se détendait comme s’il tirait une flèche en force, tirée de toute sa volonté, de tout son courage.
Han! La sueur perlait sur le haut du
crâne formant des gouttelettes translucides brillantes comme des perles de rosée apparaissant au petit matin sur les fleurs et étincelant aux premières clartés du jour. A la longue ses fines
gouttelettes se rencontraient, s’unissaient pour former de petits ruisseaux qui coulaient tout doucement en zigzaguant sur les coins des yeux, brûlant ceux-ci au passage, pour finalement épouser
les pommettes des joues, dessinant sur le creux de la mâchoire de petits torrents dégoulinant en cascades, venant mouiller le cou puis terminaient leurs courses en s’éparpillant, se volatilisant
dans l’atmosphère. Sous les coups répétés les gouttes de sueurs nous éclaboussaient tellement les coups se prolongeaient tout au long de l’après midi.
Sur le visage tiré son masque de
souffrance et de fatigue s’aggravait. De temps en temps crachant machinalement dans ses mains l’homme reprenait sa respiration ou se désaltérait en
buvant quelques gorgées d’eau emportée pour la circonstance afin d’éponger sa soif. L’eau un peu tiédie par cette chaleur lui procurait un bien être. Que cela rafraîchissait! Que cette eau était
bien méritée! Qu’elle était bonne au gosier! Il ne consommait que juste ce qu’il fallait pour tenir ces heures épuisantes.
Alors profitant de quelques secondes de
repos il nous souriait amicalement tout content de profiter de notre présence. Avoir son enfant près de lui devenait son réconfort. D’un revers de main épongeant son front et sa chevelure
dégoulinante le travail reprenait. Han! Han! La cadence repartait de plus belle.
Une fois la surface écaillée, hachée
en menus morceaux, prenant sa pelle, s’aidant de ses jambes pliées, tenant le buste le plus droit possible pour protéger son dos, chlap! chlap! le père pelletait ce sable extrait pour le gerber
en de petits tas afin de le recharger plus tard dans son moyen de transport. Han! chlap!
Dans le haut de cette zone sableuse
à part de temps en temps le cri des oiseaux qui cherchaient leur pitence ou qui se chamaillaient pour batifoler le silence était momentanément rompu par ces bruissements répétés qui se lâchaient
à chaque effort et par le bruitage laissé par l’outillage qui résonnait dans ce silence du quartier.
Pour ne point gêner la continuité de la tâche en cours et pour nous mettre en sécurité contre les projectiles et contre les mouvements d’outils, car un coup donné malencontreusement aurait pu
nous atteindre et même nous blesser, nous restions à l’écart nous occupant tous les deux à essayer de découvrir un gros bloc qui nous paraissait impressionnant pour l’époque par rapport à notre
taille. Les yeux d’un enfant voient démesurément les choses et leurs donnent d’autres proportions: grandioses, merveilleuses, sublimes, géantes. A nos yeux la pierre prenait l’apparence d’un
menhir que les hommes préhistoriques auraient abandonné faute de pouvoir l’extraire et de le transporter. Notre imagination allait toujours grandissante dans ces cas là. Tout nous servait à nous
évader de ce site pour nous retrouver dans d’autres dimensions, dans d’autres époques.
Ce gros caillou à moitié découvert gratté par les dents d’un godet de pelle mécanique nous envoûtait, nous appelait, nous invitait à notre plaisir pour que nous le découvrions complètement comme
s’il devait respirer, comme s’il devait vivre, comme s’il voulait raconter au monde son histoire.
Munis d’ustensiles imaginaires nous servant de morceaux de fer pour gratter, de boites diverses pour rejeter cette terre qui
l’entourait, de leviers en bois pour soulever. Couverts de boue, de poussière, le travail sal ne nous rebutait pas, bien au contraire.
D’arriver à nos fins nous redonnait
du courage, même si nous entendions quelques rouspétances de la part des mamans le soir venu, vu l’état des vêtements, n’importe comment la toilette était à faire. Mais bon comme disait ma
maman : « un enfant sal et qui remue est un enfant en bonne santé. Il vaut mieux le voir comme cela que d’appeler le docteur ! ». Elle souriait et l’orage passait. Mais cette
phrase n’était pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Cela ne nous empêchait pas d’être aussi sal le jour suivant et maman devait laver souvent.
Nous passions bon nombre d’après midi à
travailler, nous occupant de ce malheureux rocher perdu en nous imaginant être de vrais carriers maniant ces premiers engins à câbles qui remuaient la terre en faisant un vacarme d’enfer. Notre
imagination gambadait nous voyant construire des routes, déplacer des montagnes, reconstruire le monde, être utile pour les autres, pour que les autres puissent se déplacer, puissent vivre de
leurs richesses.
Déjà à cette époque dans les
maisons le confort s’était installé, beaucoup de gens avaient l’eau courante, des fosses sceptiques et le tout à l’égout pointait son nez. Mais nous étions heureux de découvrir ce caillou car
pour nos yeux d’enfants il laissait notre imagination s’évader. C’est beau et bon de rêver!
A l’école il fallait arriver à l’heure ou autrement gare aux retardataires, les sanctions pleuvaient. Le lundi et le
vendredi matin la reprise était difficile pour tout le monde. En classe le temps de revenir à la vie réelle d’écoliers nos âmes vagabondaient toujours dans nos pensées évasives de la
veille.
La phrase de morale écrite au
tableau ne nous intéressait guère car son contenu visait particulièrement nous autres les voyous de quartiers qui étaient déjà fichés pour avoir accomplis de menus larcins à l’école et dans les
environs. Nous étions dénoncés comme effrontés, comme tyrans et pourquoi pas comme jeunes criminels. Alors la répression du maître ne nous faisait guère ombrage.
Dans cette classe de septième de
l’époque revenaient se mélanger les élèves se présentant au certificat d’étude et qui étaient trop jeunes pour être apprentis. Ces élèves partis de cette classe pensant commencer un travail se
moquèrent bien de la politesse enseignée lors de leur dernière scolarité et se retrouvaient coincés devant une morale les visant en premiers. Les débuts d’années paraissaient difficiles pour la
conscience de tout ce petit monde.
Le maître, directeur d’école pour les garçons, un homme âgé d’une cinquantaine
approchant de sa retraite se montrait sévère envers tout le monde. Nous nous sentions obligés d’écouter ses cours car à la moindre inattention les coups de règles, les coups de pieds pleuvaient.
Nos jambes devaient se trouver tenues en arrière et non en position affalée autrement celui-ci passait dans l’allée pour shooter dans les pieds. L’impact faisait mal surtout quand l’élève ne s’y
attendait pas. Quand les réponses ne venaient pas il lançait ses projectiles : craies, règles, brosses à tableau, tout ce qui se tenait à portée de sa main. Tant pis pour le réceptionniste
s’il n’écoutait pas ses propos.
Un matin alors que je rêvais faisant semblant d’écouter, je voyais soudainement le maître regarder au dehors par la fenêtre et se mordant les lèvres, son rictus habituel de grand nerveux qui
voulait jubiler d’une infraction toute trouvée, maladie de l’homme qui n’arrive plus à se contrôler sous une émotion trop forte, fonçait rapidement vers l’extérieur comme un aigle fondant
sur sa proie. Quelle nervosité! Quelle rapidité! Attention aux coups de bec! Attention à ses serres!
Me hissant un moment sur mon banc, par
les carreaux de la fenêtre je distinguais un enfant marchant nonchalamment vers le portail fermé de cette cour d’école. Jean François pas plus pressé que d’habitude arrivait tout en flânant avec
son retard habituel. Pourquoi se presser? Une minute de plus ou une de moins, retard pour retard! Trois quart d’heure cela faisait beaucoup quand même. Bon ! C’était jean
François.
Le rouspétant, lui tirant méchamment
sur l’oreille le maître le ramenait en le traînant jusqu’à sa place et lui donnait une grande claque sur la tête en le traitant d’imbécile, de fainéant, de pauvre gosse, le menaçant de le
corriger pour lui apprendre à vivre pour arriver à l’heure. Pas lavé, le ventre vide, la blouse tachée d’encre encore récente, trouée non nouée, la ceinture de coton pendante, les brodequins dont
les devants très fatigués baillaient autant que le môme, la chevelure brune toute ébouriffée car il sortait directement du lit, le gamin ne comprenait pas cette violence à son égard. Il n’était
pour rien dans ce retard et c’est lui qui payait l’addition, la triste addition.
Sa maman restée endormie ne l’avait pas
réveillée. Le père partant de bonne heure travailler comptait toujours sur son épouse alitée et sûrement le sommeil décalé de la mère donnait à cette femme impotente un réveil difficile au petit
matin. Hébété, honteux de ce harcèlement soudain devant ses camarades qui se moquèrent bien sur de sa situation, assis, avachi à son pupitre, Jean François retenant les larmes de ses yeux
regardait autour de lui essayant de cacher son désespoir sa vexation pensant ruminant: « pourquoi ne suis je pas un enfant comme les autres?
Pourquoi les copains sont ils aussi méchants ? Et s’ils avaient eux aussi une maman impotente, riraient ils? Se débrouilleraient ils ? Seraient ils eux aussi à l’heure ? ». On
ne voit que les défauts des autres, on savoure son petit bonheur mais on ne partage pas. Déjà enfant le comportement est moqueur et un peu égoïste. Les garçons dissimulant leurs visages
hypocrites avec leurs bras pouffaient de rires profitant du moment tant la situation leurs paraissait amusante. C’était à chacun son tour d’être pris en flagrant délit et de subir la remontrance
devant les écoliers pour servir de leçon.
Le ventre serré j’observais
mon copain d’évasion, mon copain d’aventures, son regard m’implorait d’essayer de le soutenir en cet instant pénible et injuste, son bras plié sous
son oreille toute rouge, toute brûlante due à l’étirement provoqué par cette main d’adulte m’indiquait qu’il était resté endormi. Je lui faisais d’un petit signe de tête réconfortante lui
montrant que j’avais très bien compris sa situation et que pendant la récréation je serais tout près de lui comme d’habitude.
Alors pour un moment le maître nous
déballait encore son sermon, revenant sur sa leçon de morale nous rappelant comme quoi nous ne ferons rien de bien dans la vie, que nous n’étions que des voyous de quartiers, que nous n’étions
pas des exemples à suivre, que nous resterons des pauvres, des moins que rien, que nous serons bons pour faire le sal travail, que nous ne travaillerons jamais à l’abri dans un beau bureau, que
nous ne ferons jamais fortune et j’en passe. En nous bousculant, en nous moralisant, en nous punissant, ce maître sévère pensait à notre bien, à notre avenir. De cela nous lui en étions
reconnaissant et ces recommandations acquises à l’heure d’aujourd’hui nous les appliquons avec nos enfants. Hélas! En ce temps là nous rêvions pendant ces heures de français, d’arithmétiques. Les
problèmes de baignoires et de robinets, de gare et de trains qui se rattrapaient, se croisaient, des problèmes sur les surfaces et les cubes ne nous intéressaient guère. Nous voulions nous
évader.
Ceux dont nous rêvions c’était de
parcourir les grands espaces; de jouer à l’air libre dans notre saleté, dans notre crasse, à nous chamailler; à rendre des comptes et des coups entre copains; à nous échanger des billes, à gagner
aux courses de capsules représentant les maillots des coureurs du tour de France en coloriant des papiers aux couleurs des pays; à nous glisser derrière les bâtiments des classes, accrochés aux
murs des escaliers menant aux logements des instituteurs les extincteurs nous attiraient, certains élèvent surveillaient l’approche des maîtres pendant que les autres les vidaient très
rapidement, tout cela pour ennuyer notre cher directeur, action inconsciente mais combien amusante quand nous voyons cette mousse envahir les lieux et d’apprécier le visage ahuri de notre maître;
à faire le tour de la cour en nous aventurant en groupe du coté cour des filles et en nous baladant par rangées de trois ou quatre pour surprendre les culottes blanches de celles ci et des
institutrices qui assises sur les marches des escaliers ne prêtaient attention à notre manège, alors nous partions en courant quand nous nous sentions repérés par la directrice des filles, bien
entendu nous étions de suite réprimandés et punis, l’aventure de cette découverte nous semblait trop belles alors nous recommencions. Et oui nous étions bien des garçons!
En classe beaucoup d’entre nous rêvaient
et faisaient semblant d’écouter mais de se plaire dans ces conditions là pendant les cours, sans un sourire, sans réconfort, sans encouragement, sans motivations, sans plaisirs, sans
participation, sans un mot gentil n’ayant que ses menaces, que ses sanctions. Cela ne nous donnait pas envie d’étudier.
Le dernier godet de roche chargé dans la benne l’engin se lance lentement sur la piste sinueuse de la carrière. Sanglé sur mon siège, mon pied appuie à fond sur la pédale d’accélérateur faisant
vibrer le moteur afin que celui-ci libère ses chevaux vapeurs. Le tonnage à remuer est imposant et la rampe qui mène au concasseur se maintien dans les limites de pourcentage de dévers autorisé.
Il ne faudra pas que je perde de la vitesse sinon je vais baisser de régime et ce manque de puissance va faire peiner mon engin dans la montée. Le bruit de l’échappement emplit mes oreilles, mon
corps suit les vibrassions de cette carcasse de fer imposante et les sautillements sur le siège gênent.
Je dois rester vigilent car je dois
longer le bord de la rampe qui est délimité par des blocs simplement disposés pour faire parapets. La moindre inattention et c’est le drame. Les roues surdimensionnées passent au fur et à mesure
dans les nids de poules laissés après les passages trop fréquents du matériel roulant lors des grandes pluies.
La pente est raide mais il faut que ce
dumper monte jusqu’au sommet de la carrière, laissant derrière lui une épaisse fumée noire, signe que cet engin fatigué à besoin soit d’un réglage, soit d’un vrai repos définitif. Allez c’est
parti pour être ballotté dans tous les sens. Une main accroche le volant et l’autre le montant de la portière.
Le dos fait mal, les jambes servent
d’appuis, les genoux douloureux brûlent. Sous les secousses la tête part dans tous les sens tendant au maximum les muscles du cou. Sous les secousses constamment répétées tout au long
de la journée le corps se fatigue et pour le soir n’est que courbatures. L’engin casse le bonhomme à la longue, heures après heures, jours après jours, années après années.
Mais tout n’est pas que misère dans ce boulot, je me dis que je ne suis pas le
plus malheureux des hommes et que certaines fois je suis avantagé par rapport à ceux qui sont enfermés dans leurs bureaux.
Tous les matins le soleil dès son lever
d’un clin d’œil magnifique me souhaite le bonjour, et pour me faire plaisir le firmament se pare de ses couleurs d’apparats, passants des teintes jaunes et oranges aux teintes violettes et
mauves. Leurs couleurs se distinguent dans la marre et dans les grandes flaques. La fosse d’exploitation se parent de ces illuminessences comme les reflets de diamants.
Dans la froidure du matin au premier
tour de chargement il n’est pas rare de voir des lièvres s’échapper des fourrés tout près des installations et de les voir s’enfouir vers les gerbes de cailloux stockés en gros tas comme des
ergs. A chaque trajet je peux contempler la nature en passant devant la grande réserve d’eau, je peux apercevoir des poules d’eau qui fouillent dans les berges à la recherche de la moindre
nourriture. Il m’arrive de freiner lors d’un passage de volatiles comme ces couples de canards accompagnant leurs cannetons pour prendre un bain. La nuit je me suis vu m’immobiliser dernièrement
pour laisser partir un renard qui était ébloui par mes phares, le pauvre voulait s’approprier le cadavre d’une anguille écrasée sur le bord de la piste. D’habitude tous les matins un couple
venait nous rendre visite à l’aurore, ce couple avait fait son passage en longeant le puits d’extraction. De temps en temps un héron vient faire sa halte au bord du plan d’eau. Sur les bords des
falaises les corbeaux et les busards se disputent souvent une proie. Au printemps les bergeronnettes attendent que je vide mon chargement pour s’éclipser sous une roche pour alimenter leurs
progénitures. Les animaux s’habituent aux hommes, aux machines, aux bruits, aux mouvements, ils deviennent vite curieux et viennent nous voir.
Les époques changent et les arbustes
s’habillent de différentes manières passant du nu pour l’hiver, du jaune genet pour le printemps, du rose bruyère pour l’été et du roux arbrisseau pour l’automne. Le tout se marie avec l’ocre
jaune des sables et les bleus des veines de pierres. Une vraie palette pour un peintre!
De temps en temps je souris en pensant à
mon enfance quand nous jouions aux géologues pour essayer de déterrer cette énorme pierre. Nos moyens n’étaient pas énormes mais le courage était présent. Aujourd’hui je manipule toujours de la
pierre dans une carrière mais ce n’est plus aux mêmes poids, aux mêmes volumes et la carrière n’a plus la même dimension. Ici tout est disproportionné, tout est grand, tout est bruyant, tout est
mouvement, et le danger se trouve partout. De construire des routes, des ouvrages pour les autres, d’aider les autres pour qu’ils grandissent, pour qu’ils puissent vivre était notre
rêve.
Aujourd’hui j’arrive en fin de carrière,
j’ai travaillé à mon niveau sur différents chantiers de la région et je peux dire que j’ai participé par ma sueur, par ma force, par ma fatigue au développement pour que l’homme puisse vivre
confortablement, puisse se déplacer facilement, puisse se rapprocher des autres hommes. Cela s’appelle mines et travaux publics. Quand à moi j’ai suivi ma voie. J’ai fait ce que je savais
faire.
Partis de pension en pension, d’école en école, Jean François je t’ai perdu de
vue. A présent où es tu ? Que fais tu ?
JOEL