L’EMBAUCHE
Aujourd’hui journée comme tant d’autres, sans entrain, parcourant le chemin à pieds pour me rendre à mon lieu de travail, au bout de la rue apercevant les bâtiments administratifs mon pas ralentit, déjà ma gorge se serre, les nerfs de mon ventre se nouent. La nuit mouvementée, rien que de penser au lendemain m’a gâché mon repos. Longue nuit de réflexion, de solitude, où votre subconscient vous rappelle la journée précédente, où vous vous posez toujours les questions quelle erreur ai-je pu commettre, à qui ai-je pu causer du tord, qu’ai-je pu dire pour déplaire, suis-je apte à faire partie de cette entreprise ? Une partie de la nuit vous chercher et cherchez encore, vous tournez dans votre lit, le sommeil ne vient pas. L’obsession vous gagne, combat inégal et perdu d’avance, les images défilent et défilent encore, envahissent votre tête, vous plongent dans votre idée fixe tout tourne autour de vous, le lit bouge une sensation étrange de déséquilibre envahit votre cerveau, vous vous accrochez aux draps aux bords du lit le vertige est interminable. Avant juste de pouvoir une fois pour toute fermer les yeux, vous trouvez la réponse, c’est vous l’erreur. Mais les heures défilent et la fatigue ne s’élimine pas. Avant de commencer vous êtes déjà vidé. Les muscles contractés à froid dégagent leurs douleurs. Chaque pas chaque enjambée demande un gros effort. Encore une journée où il va falloir payer et encore payer cette dette. Un sentiment de crainte, d’impuissance, de dégoût m’envahit. Mais ma force je la puise dans mon courage, dans ma volonté, dans mon obstination à vouloir m’imposer, à vouloir et pouvoir tout supporter. Je suis là, j’existe. Je ne vous cèderai pas cela reste ma devise.
Nonchalants, mal réveillés les employés franchissent le portail grand ouvert accueillant ceux qui se sentent bien, à l’aise pour gagner leurs sous. Pour moi cela devient ma porte de prison. Pour quelques heures adieu liberté, bonjour brimades, bonjour vexations.
Une fois franchi ces barreaux invisibles avec l’appréhension de recommencer une journée néfaste et accoutumée, le sang afflue dans ma tête tape et retape par saccades dans mes tempes. Cauchemar. Toujours ce cauchemar matinal. Avançant, évitant les ouvriers dont ma présence dérange, fuyant les regards incriminateurs de certains dès mon approche, entendant leurs pensées qu’ils essaient de dissimuler sous leurs airs de fau jetons, restant poli je leurs rends un bonjour furtif. Qu’est ce que je leur ai fait ? Que leur dois je ? Pour qui se prennent ils ?
Trouvant un camarade isolé plus compréhensif que les autres et qui accepte ma présence, près de lui je trouve un peu de réconfort. Ce qui m’engage à tenir le coup et à supporter l’affront du matin. Retirés à l’abri sous le hangar, ces seigneurs se rangent par ordre d’importance, de hiérarchie dans « la boite », présents sur les lieux au moins une bonne demi heure avant les autres afin de pouvoir transmettre leurs potins leurs médisances leurs critiques. Les langues se délient, les regards en disent long. Quels éclats ! Quelles lumières ! Pourquoi les hommes sont ils aussi haineux, aussi méchants, aussi cruels. Pourquoi ne se regardent ils pas avant de causer, de juger ? Il est plus facile de reconnaître les défauts, les méfaits des autres qui ne sont pas à leur image. Il est plus facile de venir commander les autres à l’extérieur plutôt que de commander chez soi. Beaucoup vous juge sur vos connaissances au boulot mais pas sur vos connaissances humaines, pourtant beaucoup aurait à apprendre. Au moins à savoir aimer et à savoir respecter son prochain. Ah ces élites ! Les meilleurs des meilleurs ! Hommes sans défauts, hommes sans faux pas, la pureté même des entreprises, les favoris des chefs, les lipeurs des patrons se placent eux-mêmes sur un piédestal. Messieurs les sulbaternes applaudissez et attendez votre tour, il viendra bien un jour car de votre méfiance, de votre indépendance, de votre retrait à les suivre, ils arriveront à vous soudoyer. A ces suserains apportez leurs couronnes avant l’embauche que tout le monde les admire.Toujours dire, toujours faire comme eux. Autrement gare à vos fesses, la dénonciation est proche, la sanction va suivre. Pénitents comptez vous.
Les équipes étant désignées, contrarié du choix pris je me rends tête baissée vers le véhicule qui m’attend pour me ramener sur le lieu de travail. La journée va être longue, très longue je le ressens. L’intuition. L’habitude. Il faudra tenir. C'est ma destinée.
JOEL